Les réseaux de neurones et le kaléidoscope OVNI
- Nouvelles Ufologiques par le MUFON France
- il y a 22 heures
- 9 min de lecture
Par Laurent Galtier
Chercheur, Directeur des enquêtes du MUFON France

8 mai 2025
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Résumé
Outre le recueil de témoignages et l’accompagnement des témoins, un des principaux enjeux de l’ufologie consiste à proposer des explications rationnelles et des scénarios explicatifs pour les caractéristiques mystérieuses du phénomène OVNI. L’une de ces caractéristiques, très épineuse, concerne la dimension protéiforme du phénomène, laquelle conduit à un paysage d’une grande diversité du phénomène, le kaléidoscope OVNI - pour reprendre les termes d’Éric Zurcher. Par ailleurs, les IA basées sur des réseaux de neurones ont vu leurs performances s’accroître d’une ampleur inégalée ces dernières années. En utilisant une IA générative (MidJourney) nous avons exploré la thèse selon laquelle cette dimensions protéiforme pour rait provenir d’un signal hors-contexte interprété par le cerveau humain du témoin, modélisé comme un réseau de neurones, en fonction de son propre contexte (sa mémoire). Cette approche s’avère plutôt fructueuse, car elle permet de générer des images qui peuvent être rapprochées qualitativement, d’une manière frappante, du kaléidoscope OVNI. De plus, cette thèse permet également de construire des scénarios qui permettent d’expliquer la dimension protéiforme du phénomène OVNI, ainsi qu’une proportion notable des autres caractéristiques du phénomène.
1 Introduction
Les logiciels d’intelligence artificielle (IA), comme ChatGPT, Grok ou MidJourney sont entrés très récemment dans nos vies, et ce, plutôt en fanfare. Nous pouvons désormais les utiliser pour, par exemple : générer du texte, réaliser une traduction automatique, rédiger du code informatique, résoudre des équations, ou encore générer des images. Leur polyvalence et leur performance sont telles qu’elles peuvent déjà assister, voire remplacer, des êtres humains pour des tâches auparavant difficiles à automatiser. Comme toute technologie introduite quelque peu brusquement, la généralisation de ces outils va induire des conséquences sociales et environnementales aujourd’hui bien peu connues, mais là n’est pas l’objet de cet article. Il s’agit ici de présenter quelques réflexions sur le mode de fonctionnement de l’IA, ses résultats, et sur ce que ces constats peuvent impliquer vis-à-vis de problématiques ufologiques qui nous intriguent de longue date. Pour ce faire, nous allons réaliser quelques expérimentations utilisant l’IA de génération d’image du laboratoire californien MidJourney Inc.
2 Prolégomènes
2.1 Fonctionnement d’une IA
L’IA est un vaste domaine d’étude, qui met en jeu une grande variété de concepts de résolution numérique de problèmes complexes. Ce que collectivement nous nommons aujourd’hui "IA" concerne pour leur grande part des logiciels basés sur le principe du réseau de neurones 1. Ce concept a été inventé en 1943 par les neurologues Warren McCulloch et Walter Pitts, et a fait l’objet depuis lors de développements réguliers, qui se sont notablement accélérés depuis peu du fait de l’extraordinaire accélération de la puissance de calcul disponible et de la complexité du réseau mondial que constitue Internet.
Le réseau de neurones, dans son principe, s’inspire au moins en partie du fonctionnement connu du cerveau humain. Il utilise, sous forme numérique, un ensemble d’un très grand nombre d’objets informatiques (appelés "nœuds"), dotés de paramètres ajustables, et reliés entre eux (d’où le nom de "réseau"). Au cours d’une période dite "d’apprentissage" (ou "entraînement"), cet ensemble de neurones va traiter les données fournies (la "base d’apprentissage"), puis, sous l’injonction d’une commande en entrée (un "prompt") produire une sortie, par exemple du texte ou une image. Cette sortie sera ensuite évaluée au regard de paramètres de performance. Puis le traitement sera reproduit en ajustant les paramètres contenus dans les nœuds, avec pour objectif d’améliorer la sortie. Ainsi, après de nombreux cycles, peu à peu, le réseau de neurones deviendra progressivement de plus en plus performant, jusqu’à fournir un résultat acceptable.
La qualité du résultat sera fonction d’une part de la qualité et de la taille de la base d'apprentissage (eg des textes issus d’articles, de livres ou d’internet), mais aussi de la taille du réseau lui-même, c’est-à-dire du nombre de noeuds et de paramètres ajustables. Le choix des algorithmes d’apprentissage entre également en jeu. Ainsi, on a pu le constater, la qualité des productions IA n’a cessé de s’améliorer ces quelques dernières années. Pour l’illustrer, on propose la Figure 1, qui compare la sortie de Myd Journey, entre ses différentes versions de la V1 (sortie en février 2022) à la V6 (sortie en décembre 2023).
Le prompt qui a été utilisé en entrée de l’IA pour ces images est très simple : "a plane" (un avion), et la sortie consiste en une mosaïque de 4 images placées en carré. On constate que dans les trois premières versions, la sortie ressemble à peine à un avion, on distingue peut-être une aile, un empennage, un ciel et des nuages. Puis dans la V4, cela s’améliore, même si l’avion n’est pas encore bien réaliste : il est déformé, ne vole pas, semble fondu dans le sol et comporte de bien étranges excroissances. Puis, dans les versions V5 et V6, le rendu est de bien meilleure qualité, et l’on reconnaît sans le moindre doute un avion.
2.2 Signal hors-contexte et représentation mentale
Dans cette partie introductive, nous allons maintenant procéder par un bref détour sur le sujet de la grande difficulté qu’il existe à retranscrire un concept hors de tout référentiel culturel connu. Comme nous allons l’illustrer, cette difficulté s’applique aussi bien pour un concept abstrait, philosophique, que pour un objet tout à fait concret, mais inconnu de celui qui reçoit l’information.
1. Les réseaux de neurones n’étant qu’une sous-catégorie d’un large ensemble d’algorithmes bien différents, d’aucuns pourront affirmer que l’appellation d’IA est quelque peu abusive. La question s’avère de plus nettement plus vaste dès lors que l’on y introduit diverses définitions de l’intelligence, et que l’on fait intervenir la notion de conscience - les logiciels utilisés aujourd’hui n’étant pas conscients, jusqu’à preuve du contraire. Au-delà de ces débats, dans le présent article, et pour des raisons de vulgarisation, nous nous tiendrons à la dénomination commerciale en usage aujourd’hui, à savoir "IA".

Figure 1 – Évolution du résultat de l’IA MidJourney en fonction des versions du logiciel
Considérons une scène illustrative. Supposons un peintre qui aie vécu toute sa vie sur une île reculée, où il n’a jamais eu l’occasion d’observer un avion. Un visiteur lui décrit alors cet avion, par ses caractéristiques, par son aspect. La tâche est sans doute bien difficile pour le visiteur, car expliquer ce qu’est un réacteur, le concept physique de portance ou encore le matériau aluminium ne sera pas de tout repos. Pour le peintre, aucune image correspondante et précise ne lui viendra à l’esprit. À l’issue de cette conversation, le visiteur demande au peintre de représenter un avion, sur la base de ce qu’il a compris de son récit. Il y a de bonnes chances que la peinture qui en résulte ressemble à un bizarre hybride des représentations mentales du visiteur et celles du peintre, issues de leur quotidien, médiées par les mots employés.
Une illustration possible de la chimère qui sera produite est donnée en Figure 2. Le visiteur aura donné sa description d’un avion, tandis que le peintre se sera basé sur son propre référentiel mental. Or, ce qu’il connaît et qui vole, ce sont bien les oiseaux. Cette hybridation est ici simulée par MidJourney. L’auteur des présentes lignes n’est pas en mesure d’expliciter précisément comment le logiciel a généré cette image, mais on peut constater que la forme générale de l’avion a été conservée, tandis que les plumes et le bec de la mouette restent présents dans l’image hybride - comme si elles étaient indispensables au vol, ce qui n’est pas du tout une conclusion basée sur les sciences physiques, mais n’est pas dénué de sens empirique : tous les oiseaux ont en effet des plumes sur les ailes et un bec.

Figure 2 – Hybride d’un oiseau et d’un avion
Il existe un point commun intéressant dans cette combinaison entre, d’une part, notre scène illustrative impliquant un peintre insulaire et un visiteur venu d’ailleurs, et d’autre part l’utilisation d’une IA générative comme MidJourney. Dans les deux cas, peintre et IA, un mécanisme apparenté est employé pour générer du texte et des images : un réseau de neurones. Il ne faut pas mener trop loin cette comparaison 2, mais, comme nous allons le voir, l’IA va nous être d’une grande aide pour
2. Le cerveau humain est bien plus sophistiqué qu’un simple réseau de neurones : taille bien supérieure en nombre 4
investiguer la façon dont un réseau de neurones peut interpréter un signal hors contexte. En effet, cet outil va nous permettre de produire des illustrations qui, de manière troublante, évoqueront un aspect épineux du phénomène OVNI.
2.3 le kaléidoscope OVNI
Il existe un problème fondamental du phénomène OVNI, lié à l’extrême diversité de formes des objets, voire entités, qu’observées et décrites par les témoins. En ce qui concerne uniquement les objets volants, ces formes semblent recouvrir l’ensemble du répertoire de formes imaginables, et chaque objet présente lui-même des variations en apparence infinies par rapport à ceux ayant une apparence similaire. Prenons par exemple, le cas du triangle noir. Ce cas est en apparence simple : un triangle noir doté de feux à ses trois coins. Mais cela cache une extraordinaire variabilité de cette description. En effet, selon les témoignages, le triangle sera parfois carré ou aura la forme d’une flèche, il y aura trois lumières, ou plus, ou moins, voire pas de lumières, de toutes les couleurs, dont l’éclat variera selon des rythmes disparates - cette multiplicité est très bien décrite par la recension et la catégorisation des observations de triangles noirs réalisée par Daniel Robin[2]. Et, dans notre domaine, il n’existe pas que les triangles, bien sûr, il existe aussi des sphères, des cylindres, des cigares, des sphères annelées, ce à quoi s’ajoutent les phénomènes plus extraordinaires type RR3, abductions, etc...
Ce catalogue est incroyable pour nous qui sommes habitués à une certaine homogénéité des dispositifs technologiques, induite notamment par la production industrielle en série, ou encore par le mimétisme entre les différentes marques, lui-même induit d’une part par des optimums techniques ("minimum locaux") ainsi que d’autre part du fait des modes.
Cette problématique de multiplicité ne se limite pas à la diversité des formes observées. Il s’étend également à l’absurdité de certaines de ces formes, qui semblent constituées de bric et de broc, d’un assemblage d’éléments qui ne paraissent pas avoir le moindre sens dans le cadre des théories physiques faisant consensus aujourd’hui. Cette caractéristique est qualifiée par Éric Zurcher de "dimension protéiforme" du phénomène OVNI, et elle conduit à une générer un paysage bien disparate de l’ensemble du phénomène, le kaléidoscope OVNI"[4]. Une illustration de ce kaléidoscope est donnée dans la Figure 3.
Voyons ce que l’utilisation d’une IA générative peut nous apprendre sur ce sujet.
3 Modélisation
3.1 Présentation
Pour raisonner, nous allons construire le scénario hypothétique suivant :
1. soit un témoin au centre de l’événement considéré. Ce témoin dispose dans sa mémoire d’un contexte connu, c’est-à-dire un fond de connaissances provenant de sa culture générale et de son expérience ;
de neurones et de connexions, fonctionnement massivement parallèle, connexions entre différentes aires spécialisées (synesthésie), rétroactions, capacité d’apprentissage en continu, capacité par le corps d’interagir avec le monde physique, signaux électrochimiques analogiques et non numériques... À cet inventaire pourraient être ajoutés des aspects plus spéculatifs liés à des mécanismes quantiques qui pourraient être mis en oeuvre dans le cerveau - voir par exemple la théorie Orch-Or ("résolution objective orchestrée") de Stuart Haleroff et Roger Penrose [1]

2. ce témoin va recevoir un signal hors-contexte, c’est-à-dire sortant complètement de ses connaissances, et qu’il n’a aucun moyen de comprendre, au moment où il reçoit le signal. Le mode de transmission du signal est considéré quelconque 3;
3. en pratique, il pourrait s’agir de mots, une image, une suggestion hypnotique ou une transmission télépathique, 6
3. pour les besoins du présent article, nous allons supposer que ce signal porte la description d’un triangle noir - un tel véhicule en effet se base sur une technologie totalement inconnue d’un témoin humain (en particulier, c’est un plus-lourd-que-l’air qui ne dispose pas d’ailes ni de voilure tournante). Ce signal est donc bel et bien hors-contexte pour le témoin ;
4. Le témoin pourra ensuite éventuellement déposer un témoignage sur ce qu’il a vu, autrement dit sur la représentation mentale qu’il a construite, auprès de ses proches, d’un ufologue ou d’une institution publique.
Pour résumer : le témoin, disposant dans sa mémoire d’un contexte connu, va recevoir un signal hors-contexte, et son cerveau va traiter la combinaison de ces deux informations pour produire une représentation mentale, qu’il pourra éventuellement transmettre sous forme de témoignage. Nous allons modéliser ce processus de la manière suivante (cf Figure 4) :
— au centre se trouve le cerveau humain, modélisé par les réseaux de neurones de l’IA Mid Journey au travers de la commande blend (une seule génération sera effectuée). Ce cerveau va traiter deux signaux, situés à gauche, et produire une sortie, située à droite ;
— en haut à gauche se trouve une image du contexte connu (par exemple l’oiseau dans la Figure 2) ;
— en bas à gauche se trouve le signal hors-contexte, sous la forme d’une image surprenante (en l’occurence l’image du triangle noir) ;
— à droite se trouve le carré de quatre images générées par MidJourney, dont il est fait l’hy- pothèse qu’il corresponde à quatre exemples de la représentation mentale du témoin après traitement des deux signaux.

ou pourrait être extrapolé à un objet physiquement présent devant lui - nous n’allons pas toutefois entrer dans ce niveau de détail dans le présent article.
SUITE À VENIR ....